L'homme n'a jamais cessé de chanter depuis les origines jusqu'à l'apparition du modernisme, nous dit Claude Duneton, dans son"Histoire de la chanson française". Le chant est un art pauvre au yeux de la poésie, de la littérature et du théâtre. C'est un art populaire qui doit remonter à l'Antiquité et dont nous n'avons gardé que quelques traces dans le fonds des bibliothèques ou dans le souvenir de nos anciens.
La chanson a, au long des siècles, transmis des messages et contribué à un rôle social. C'est par la chanson que la langue française a commencé à se répandre en France, dans un pays où les habitants étaient pour la plupart illettrés. Elle a fait partie de la vie des gens, dans leur travail, animé leurs fêtes, relaté les événements anecdotiques ou encore accompagné leurs malheurs. On reprenait les chansons que l'on entendait, on les apprenait aux petits le soir lors des veillées au coin du feu à l’âtre. Elles étaient transmises de village en village, par des baladins ou des marchands ambulants. Elles voyageaient d'une ville à l'autre sans qu'on ne s'en rende compte, en fonction des événements du moment. Les grands "tubes" de la chanson populaire sont encore dans nos mémoires : « En passant par la Lorraine avec mes sabots », "Dans les prisons de Nantes", "Vive Henry IV" ou encore "Ah ça ira, ça ira, ça ira, les aristocrates à la lanterne", sans oublier « Auprès de ma blonde ». Ils ont bercé l'enfance de bien des enfants dans les quatre coins de l'hexagone.
A Dieppe, on n'était pas à part des autres et les chansons, on aimait ça. La ville côtière a toujours, depuis son implantation sur un banc de galets à l'embouchure de l'Arques, été bercée par le monde maritime, la pêche côtière, les découvertes de nouvelles terres et tous ces métiers liés à la mer.
Puis il y eut les personnages célèbres qui furent et sont encore les fleurons de notre histoire locale : Henry IV, Abraham Duquesne, Camille Saint-Saëns. Puis il y en eut d’autres, moins célèbres, mais tout aussi populaires : Vincent Modard, Marie Bézette, etc.
Nous ne pouvons laissez sous silence les noms des poètes dieppois qui ont par leurs paroles, fait l’éloge de notre ville au fil des siècles : Pierre Avril, Pierre Crignon, Prosper Grognet , Jehan et Raoul Parmentier, Le Vasseur, Le Musnier, Jean Doublet, Charles Morel, Colin Saval, les Miffant, Claude Groulart, De Tierceville, de la Martinière, Henri Richer, David Houard, Pocholle, Hamel, Trevet, Josse Hardy, Guy de Maupassant, Jean Richepin, Victor Hugo, Alfred de Vigny et tous ceux qui ont contribué à la poésie locale.
Beaucoup de chansons ont été interprétées par hasard, sur un air fredonné de l'époque auquel on modifiait un couplet ou deux. Certaines chansons sont restées jusqu'à nos jours sans en connaître l’auteur.
D'autres dont nous connaissons leurs créateurs, ont perdu l'air et la musique, mais une infime trace reste à jamais dans les archives de notre bibliothèque municipale, relevée par MM. Féret, Lebas, Richepin, Féron, Duteurtre, ou par des anonymes, comme l'auteur du manuscrit du Pollet.
Les chansonniers dieppois les plus connus sont Georges Abraham et Arthur Dely, mais bien d'autres comme Léon Herbland, Fernand Miellot, Fernand Salfray, etc.. contribuèrent au développement de cet art.
Les générations de musiciens ont également contribué à développer cet art, comme Amédée Godard qui est resté jusqu’à ce jour un grand anonyme. Auteur de la revue « La Lanterne magique » et qui, comme chef d’orchestre a fait énormément au siècle dernier pour sa ville d’adoption, ses associations, la musique et initia jeunes et des moins jeunes.
Les fêtes et les danses :
La danse et les chants qui accompagnaient les fêtes furent souvent relevés par les chroniqueurs Dieppois, ainsi que par des étrangers de passage dans notre région, lesquels, curieux de certaines mœurs locales, en relevèrent certains passages. Ainsi en 1824, lorsque Monsieur Th. F. Dibdin, voyageur anglais, visite le village d'Arques, il rencontre sur sa route, "des groupes de paysans confondus avec des bourgeois, qui se rassemblaient pour la danse. Vous ne pouvez vous faire qu'une idée incomplète de l'effet brillant de ces jupes bleues, ces corsages rouges (ou vice-versa) qui se croisaient dans tous les sens au milieu des arbres au son joyeux du violon...".
Le violon était utilisé fréquemment, mais beaucoup d'autres instruments comme la flûte, le hautbois, le tambour, etc, accompagnaient les chants et danses locales. Le piano fit son apparition au XIXe siècle, auparavant, c'était l'orgue de barbarie qui accompagnait les chanteurs de rues.
L'arrivée des guinguettes permit à tous de découvrir les bals musette ainsi que les chansons populaires chaque semaine dans des lieux très connus comme le "printanett" du chemin des fontaines (rue d'issoire) ou encore le "chant des oiseaux" à Janval et le plus connu, la salle "Duquesne" avenue de la République, qui deviendra le "Duquesne-Dancing" puis le "Tampico" jusqu'en 1970.
Les musiques dieppoises :
Il faut remonter au XVIIe siècle pour trouver un registre de tabellionage daté du 17 juin 1656, qui mentionne la première constitution légale d’un groupe de musiciens professionnels composé de 8 hommes : Claude Lefébure, Pierre Violette, François Suzenne, Charles Chapelle, J. Perré, G. Duhamel, G. Perré et Nicolas Bérard. Ces derniers, s’associèrent par contrat, pour former un groupe de musiciens et pouvoir ainsi avec la musique, vivre de leur travail.
Au cours de la Révolution, déjà, la garde Nationale disposait d’une formation de musique.
Vers 1830 la ville de Dieppe possédait « La Société de tambours et trompettes de la Garde nationale », dont le chef était M. Masure, et fut la première organisation musicale reconnue de la ville.
En 1832, un petit groupe de huit jeunes sous la direction de M. Masure joue en cachette chez un particulier. Un an plus tard, les orphéonistes se font entendre dans la ville, puis leur renommée se fait connaître et le principal du collège, M. Jullien, les engage à venir donner un concert. C’est la consécration mondaine. Le 21 mai 1835, le préfet donne l'autorisation de créer la "Société musicale dieppoise", leur devise est : Progrès, Philanthropie, Agrément. Le directeur musical est encore, M. Masure. Le premier président est M. Teissier, directeur de l'enseignement mutuel. Ses successeurs sont M. Rebsomen et J. Légal.
En 1844, une « société philharmonique » figurait dans les manifestations locales à côté de la « Société musicale dieppoise ». Ces deux groupes s'unirent pour former le « Philharmonique » que présida M. Nicolle aîné. Cet orphéon ne donna pas beaucoup de signes de vitalité jusqu'en 1851, où il fut réorganisé. Le maire, M. Morel, devint président et M. Sellier, vice-président. M. Payen le dirigea en 1859 et y créa une section orchestrale. Les répétitions avaient lieu dans une salle de l'hôtel de ville, dite salle de musique, ensuite, elles eurent lieu à la salle Sainte Cécile, au 8, rue Duquesne.
En 1849, « la musique de la garde nationale » fut doublée par la « fanfare de l'escadron d'artillerie » dirigée par M. Poulet.
En 1857, M. Masure créa un « corps municipal de musique » qu'il appela « Musique municipale de Dieppe ». Les registres du conseil municipal de Dieppe en font mention en date du 7 mai 1857, lors de sa création officielle. Citons quelques chefs de musique de la « cipale » : Mimart en 1886 ; Boyer en 1889 ; Barthès et Jules Couaillet en 1911 ; Georges Nazy en 1921 ; Julien Pouyer en 1952 etc.
En 1859, il créa la "Société d'Amateurs". Les concerts avaient lieu à l'hôtel Bristol.
Plus tard en 1862, M. Masure créa un cours de musique chiffrée, qui fusionna un an après avec la "Philharmonique", lors de la Sainte Cécile de 1863. « La Société Philarmonique de Dieppe » eu deux sections, la section instrumentale et la chorale sous le nom d’ « Orphéon de Dieppe ».
La Société chorale, « Les Enfants de Wilhem » furent créés en 1866 par M.Henry Renoux. Elle fut confirmée par arrété prefectoral du 12 février 1868 et fut dissoute en septembre 1873. Auguste Spick, organiste à Dieppe, fut nommé un an plus tard, directeur de la nouvelle chorale, « Les Enfants de Wilhem ». Cette chorale, disparut à nouveau, pour réapparaitre en 1891 avec M. Tourillon, pére, comme président.
En 1872, « l'Harmonie de Dieppe » devient la « Musique de Dieppe » dirigée par M. Amédée Godard.
M. Richard March, fonda en 1878, la chorale «Société Boïeldieu de Dieppe » en remplacement « des Enfants de Wilhem », son président honoraire fut M. Adrien Boïeldieu, fils de l’illustre compositeur de musique (1775-1834).
Un arrété prefectoral du 15 avril 1880, officialissait la nouvelle « Musique Municipale de Dieppe » en remplacement de la « Musique de Dieppe ». Son président en 1884 est F. Benet.
En octobre 1889, est créée la « Fanfare du Commerce de Dieppe », qui formait jusqu’alors, la section fanfare de la Société de gymnastique « La Nationale ».
Dans la proche région dieppoise, des orphéons, fanfares et musiques furent fondées dans cette deuxième moitié du XIXe siècles. Ainsi, nous trouvons en 1866, une fanfare à Bacqueville, Criel, Luneray, Saint Vaast-d’Equiqueville, et au Grandes-Ventes, ainsi qu’une musique municipale au Bourg dun, Eu, Luneray, Offranville et le Tréport. La fanfare de Douvrend apparut en 1869.
Le collectage
Il faut remonter en l'an 800, pour retrouver M. Eginhard ou Einhard (770-840), chroniqueur de Charlemagne, dont il écrit la vie, et que l’on chargea de rechercher les contes et légendes répandus dans toute l'étendue de l'Empire. C'est le premier à faire un relevé des traditions populaires.
Mille ans après, un décret en date du 13 mai 1852, à la demande du ministre de l’instruction publique de Napoléon III, Hippolyte Fortoul (1811-1856), demanda aux préfets de toutes les provinces françaises, de mener des recherches sur les poésies et les chants populaires de la France et de publier un recueil général et officiel des chants populaires.
De ce décret, sans beaucoup d'enthousiasme, naquirent 6 importants volumes manuscrits relevant plusieurs centaines de chansons populaires. Ces volumes sont conservés aux Archives nationales à Paris
En 1890, Edouard Moullé recueillit 50 chants populaires de la Haute-Normandie, puis De Coussemaker, Jean Richepin, Tiersot, Léon Leclerc, René Lefebvre, et bien d'autres contribuèrent à remettre au goût du jour, les musiques et les chants de notre Normandie.
Les Archives Départementales de Rouen, renferment quelques renseignements sur les imprimeurs dieppois et entre autres, en 1890, ont trouve un récépicé de déclaration de dépôt légal, de l’imprimerie du Commerce, A. Dely, qui a imprimé une chanson intitulée : « Au Café Jehan Ango ». Le texte de cette chanson nous est malheureusement inconnu.
En 1902, le Dieppois, Georges Lebas, publia « Rimes dieppoises », un recueil de poèmes et de chansons sur notre bonne ville de Dieppe, on y retrouve « La Polletaise », « Ango », « Desceliers », etc. En 1904, il sortit une nouvelle étude très complète sur les Confréries religieuses et littéraires des Puys de Dieppe et sur les poètes de la région, depuis le moyen âge. Intitulé « Les Palinods et les poètes dieppois », ce livre malheureusement très rare, fait ressurgir du passé les Pierre Crignon, Jehan Doublet, Claude Groulard, P-J Féret, mais également ceux plus récents, comme Neveu, Hardy, Ramé, Laurent-Corré, qui contribuèrent par leurs poesies mais aussi par leurs chansons à enrichir notre répertoire. Son étude fort intéressante, a permis de compléter très appréciablement l’étude présentée ici.
En 1945, lors de la commémoration du 19 août, fut enregistrée par la radio, dans la salle de la bibliothèque municipale la chanson des marins de Dieppe. Elle fut interprétée par quelques Dieppois, MM. Damamme, Gorré et Lagaë. Auparavant en 1940, peu avant sa mort, Arthur Dely fit don d'un manuscrit de chansons dieppoises à la bibliothèque municipale de Dieppe qui comporte 17 chants et musiques.
Les Amys du Vieux Dieppe par trois fois en 1954 remirent au goût du jour les vieilles chansons dieppoises, lors de thés musicaux donnés à l'hôtel de la plage à Dieppe. Ce fut pour les Dieppois l'occasion de découvrir ou de redécouvrir les anciennes chansons de leur ville hélas oubliées. Les programmes et les articles de presse, nous ont permis de retrouver les titres de ces anciennes chansons qui pour la plupart étaient tirés de revues jouées à la fin du siècle dernier et au début de celui-ci, mais qui pouvaient également dater de plus loin encore.
En 1978 et 1980, Monsieur Michel Colleu du chasse-marée, réalise un collectage auprès d’anciens, au Pollet et à Neuville. Son travail fut publié au fil des ans, dans les cahiers de chants de marins des éditions « le Chasse-marée ».
Le groupe folklorique « Les Polletais », a réalisé un collectage auprès de plusieurs anciens, qui ne fut malheureusement pas exploité jusqu’à ce jour.
Depuis 1984, le mensuel local, « Connaissance de Dieppe » contribue à sa manière, à faire ressurgir du passé les chansons de notre région. Ainsi au fil des numéros, nous avons pu retrouver : « La foire de Douvrend », « L’Hymne du Pollet », « Les deux Torcy », etc.
En 1996, l’école nationale de musique de Dieppe présenta un concert dédié au compositeur Arthur Dely, ce qui fit découvrir pour certains, quelques partitions d’un de nos illustres compatriotes, mais cette soirée ne reçut pas le mérite escompté et le passé de nos chansons resta encore bien loin du grand public.
Les recueils de chants de marins des côtes de France, ont depuis plusieurs années, répertorié quelques chansons typiquement dieppoises comme le groupe « Marée de Paradis » qui interprète : « Au port de Dieppe », « La petite Polletaise », etc.
Plus récemment un studio d’enregistrement dieppois a eu l’idée de mettre sur CD, la chanson de « Marie Bézette », ce qui permet encore une fois, de renforcer à la conservation du patrimoine oral.
Aujourd'hui, le téléchargement a remplacé les thés-dansants d'hier et la tradition ressort de ses tiroirs poussiéreux ou des boîtes des bibliothèques et permet ainsi la pérénnité des chansons dont on se souviendra encore demain grâce à ce recueil.
Deux livres retracent cette histoire :
CINQ SIECLES DE CHANSONS DIEPPOISES, POLLETAISES ET DES ALENTOURS
Tome 1 :Un ouvrage retraçant l'histoire, les textes et les musiques des chansons de Dieppe, du Pollet et des communes alentours est parue en 2000. Au sommaire : Chanson de la Brue, La petite Polletaise, A Gabriel de Clieu, La colonne d'Arques, Ode à Abraham Duquesne, les rues de Dieppe, sur les quais du Pollet, Dieppe est Charmant, Marie Bézette, Not vieux Brachy, la kermesse d'Auffay, Bracquemont, le maire d'Eu, les deux Torcy, et bien d'autre. Au total 140 chants. Par David Raillot, président des "Polletais". Un livre à commander au prix de 21 euros + 4 euros de Port soit 25 euros.
CINQ SIECLES DE CHANSONS DIEPPOISES, POLLETAISES ET DES ALENTOURS
(du Tréport à St Valéry) Tome 2 : Un ouvrage retraçant l'histoire, les textes et les musiques des chansons de Dieppe, du Pollet et des communes alentours est parue en 2005. Par David Raillot, président des "Polletais". Un livre à commander au prix de 26 euros + 4 euros de Port soit 30 euros.
Une chanson bien dieppoise :
DIEPPE EST CHARMANT
1er
Ah ! que Dieppe est charmant
Qu'il est divertissant !
C'est un petit Paris
Pour les jeux et les ris
On y boit du bon vin
Pour noyer son chagrin,
Dans ce charmant séjour
S'écoulent d'heureux jours !
2ème
Mais si Dieppe est charmant,
Il est reconnaissant
Toujours met à l'honneur
Ses hardis découvreurs
Ses marins, ses guerriers
Tout couvert de lauriers
Dans ce glorieux séjour
S'écoule d'heureux jours !
3e
Ah ! que Dieppe est charmant
Qu'il est divertissant !
C'est un petit Paris
Pour les jeux et les ris
On y boit du bon vin
Pour noyer son chagrin,
Dans ce charmant séjour
S'écoulent d'heureux jours !